D'un cèdre l'autre: un Livryen chez les Libanais

Aïdkoum Moubarak – Puissions-nous toujours trouver la force de rire !

     Comme vous le savez peut-être, les musulmans fêtent aujourd’hui l’Aïd El-Fitr, qui marque la fin du Ramadan. A cette occasion, j’aimerais vous présenter mes voeux (plus originaux cette fois-ci) pour l’année à venir.

     Jusqu’à ce jour, j’avais pour habitude de prier Dieu pour qu’il épargne de la maladie les membres de ma famille. Je vivais alors dans l’inquiétude permanente qu’ils soient victimes de souffrances auxquelles je ne puisse apporter aucun remède ; dans l’angoisse d’assister impuissant à leur lent enlisement ; dans la hantise qu’ils puissent un jour ne plus être là, auprès de moi. Puis les années ont passé, entrainant dans leurs sillages l’objet de mes prières enfantines. Malgré cela, j’ai continué à croire en Dieu et à implorer son indulgence. Je ne priais ni pour le salut de mon âme, ni pour la rédemption, ni même pour la paix dans le monde – j’espérais seulement que Dieu, s’Il existe bel et bien, veille à protéger ceux que j’aime. D’ailleurs, si je peux sans nul doute affirmer que je suis musulman par mes parents – qui m’ont inculqué la foi en Allah et l’amour du Prophète -, il se pourrait que je le sois également pour eux. En effet, si j’avais été seul, sans personne à aimer, je n’aurais probablement pas été croyant, ou alors d’une manière bien différente.

     Je pressens toutefois que cette année à l’étranger m’a permis de gagner en sensibilité – plutôt qu’en « maturité » – ce que j’ai perdu en naïveté. Aussi suis-je désormais certain qu’il est vain, ou du moins secondaire, de vous présenter, à vous et à vos proches, mes meilleurs voeux de santé pour cette nouvelle année. Ce serait faire là, je crois, un souhait trop hasardeux ! En effet, tout au long de mes jeunes années, j’ai vu des personnes au mode de vie parfaitement sain être affligées des pires maladies qui soient ; j’en ai vues d’autres honorer Dieu par des prières et des aumônes quotidiennes et, malgré cela, quitter ce monde dans une souffrance indigne ; j’en ai vues, enfin, se battre avec acharnement contre leurs maux pour finalement échouer à les vaincre. Vraiment, c’est à n’y rien comprendre… L’Homme a beau réaliser toujours plus de progrès, il n’aura jamais le dernier mot dès lors qu’il s’agit de la Vie et de la Mort. Aussi devrions-nous laisser à Dieu le soin de disposer de notre santé comme bon lui semble (attention, ceci n’est pas un appel au non respect de la sacro-sainte règle du « mangez cinq fruits et légumes par jour »), et garder nos forces pour des combats que nous pouvons gagner. Si vous le voulez bien, j’en ai d’ailleurs un à vous proposer: celui du rire.

     Voici une proposition qui, comble de l’ironie, vous semblera peut-être dérisoire. J’ai pourtant l’intime conviction que le rire est l’une des meilleures choses qui puissent nous arriver ici-bas. D’abord parce que nous n’avons à demander l’autorisation à personne pour l’exercer – à aucun prince, ni à aucun dieu -, mais aussi parce qu’il est un moyen mis aux mains de chacun pour faire face à ses démons intérieurs. Pour filer la métaphore guerrière, j’aime à penser du rire qu’il est à la fois l’arme, le bouclier mais aussi l’étendard de nos combats quotidiens.
     Il est aujourd’hui admis par tous que le rire constitue une ressource redoutable pour qui sait le manier avec intelligence. Toutefois, si le rire doit être une arme, j’aime autant mieux l’imaginer scalpel que hachoir ! Il doit donc être exercé avec une constante bienveillance. Pour cela, je crois qu’il est important de savoir rire de soi pour espérer pouvoir rire des autres, et le faire avec justesse. Cela implique d’avoir une conscience intime de ses fragilités de manière à se défaire, par la suite, de ses arrogances. Du reste, le rire ne doit pas être mis au service d’intentions mesquines, cyniques ou sarcastiques, sans quoi il trahirait sa nature profonde. Comme je le disais, il est un scalpel mis à disposition de tous, libre donc à chacun de tailler dans le vif en aveugle – au risque d’aggraver des blessures, ou pis encore d’en créer – ou d’opérer avec prudence et minutie. Et si nous avons le choix, il est certainement préférable d’user du rire de manière à rassembler plutôt qu’à diviser: rire du Malheur, plutôt que des malheureux ; de la Maladie plutôt que des malades ; de la Différence plutôt que des personnes différentes – et de la Mort plutôt que des morts. Sans oublier pour autant toutes ces choses plus légères qui parsèment nos vies.
     S’il est une certitude que mon séjour à l’étranger m’a permis de conforter, c’est que le rire est également un moyen de défense infaillible. Lorsque je me trouvais au Liban, j’ai ainsi été frappé par cette capacité qu’ont les habitants à rire de leur histoire, pourtant si douloureuse. De la même manière, j’ai vu des réfugiés syriens, parfois gravement estropiés et rarement âgés de plus de dix-huit ans, arborer des sourires incroyables sur des visages que je me représentais creusés par les larmes. Ces personnes ont cela de commun qu’elles ont eu à traverser des Enfers, bien terrestres ceux-là. Néanmoins, ceux qui ont eu la chance d’en sortir n’en sont pas revenus les mains vides, ils ont amené avec eux une flamme – l’ont-ils volée aux dieux celle-ci ? – qu’ils entretiennent pour le restant de leur vie (à moins que ce ne soit elle qui les entretienne, qui sait.). Cette flamme n’est rien d’autre que l’intuition qu’il est nécessaire de rire de tout, à commencer par les choses les plus douloureuses. En effet, le rire nous permet de gagner en distance avec nos malheurs, sans pour autant nous les faire oublier. Il n’est pas une négation de nos peurs ni de nos angoisses, il nous permet seulement de les accompagner, de nous les rendre plus douces – plus supportables. Ainsi, dans l’idée que je me fais du rire, celui-ci côtoie le fragile, le faillible et le délicat, il en est pour ainsi dire l’alliage. C’est d’ailleurs cette alchimie qui, à mes yeux, le rend si précieux.
     L’idée saugrenue que le rire puisse également faire office d’étendard a émergé très récemment dans mon esprit fatigué, aussi espéré-je vous la rendre la plus accessible et intelligible possible. Je crois, en effet, que rire de ses malheurs c’est voiler – au sens de « préserver » plutôt que de « dissimuler » – une part douloureuse de sa vie tout en déclinant, paradoxalement, son identité profonde. Ce que je veux dire par là c’est qu’il est des personnes dont on devine l’amour qu’ils portent à la Vie à la seule manière qu’ils ont de rire de leurs malheurs. Pour ces gens là, nul besoin de longs discours humanistes: leurs rires ont valeur de profession de foi.

     Il serait contre-productif, je pense, de vous ennuyer davantage avec mes bavardages. Après tout, je vous avais promis des voeux, et non le brouillon d’une mauvaise dissertation de philosophie, alors les voici:

Je vous souhaite à tous, indépendamment de vos croyances, de toujours trouver en vous la force de continuer à rire. Et lorsque vous aurez l’impression d’avoir, pour ainsi dire, touché le fond, souvenez-vous que d’autres avant vous ont éprouvé ce même sentiment et qu’ils ont trouvé dans le rire la plus improbable des échelles, la plus belle des mains tendues.

A jamais dans l’horizon

Derrière la saleté
S’étalant devant nous
Derrière les yeux plissés
Et les visages mous
Au-delà de ces mains
Ouvertes ou fermées
Qui se tendent en vain
Ou qui sont poings levés
Plus loin que les frontières
Qui sont de barbelés
Plus loin que la misère
Il nous faut regarder

Il nous faut regarder
Ce qu’il y a de beau
Le ciel gris ou bleuté
Les filles au bord de l’eau
L’ami qu’on sait fidèle
Le soleil de demain
Le vol d’une hirondelle
Le bateau qui revient

(…) Dans le tourbillon de la vie (…)

     Après plus de huit mois durant lesquels j’ai parcouru une bonne partie du Moyen-Orient et vécu les plus beaux jours de ma jeune vie, me voilà enfin de retour chez moi, – à Livry-Gargan !

     Cela n’aura pas échappé à ceux qui ont suivi ce blog que mon séjour se trouve ainsi amputé d’environ trois mois, étant donné que mon retour en France n’était prévu que pour début août. Il semblerait toutefois que le sort en ait décidé autrement. Alors que je me trouvais en Turquie, où j’étais censé passer encore huit jours de vacances avant de retourner au Liban, ma soeur m’a fait part d’une « mauvaise nouvelle » m’obligeant à prendre le premier avion pour Paris. Si j’ai l’impolitesse de partager avec vous ce détail intime, c’est que je sais bien que beaucoup d’entre vous – au Liban comme en France – se demanderont ce qui a justifié un retour si précipité, aussi leur dois-je quelques explications. Disons, pour faire simple, qu’il est des choses – comme la famille – qui passent avant les études, les voyages, peut-être même les amis.
     Aussi lacunaires soient ces informations, j’espère malgré tout qu’elles auront pour effet de couper l’herbe sous le pied des curieux (pour qui j’ai, en d’autres circonstances, une sincère sympathie, étant moi-même l’un de ces bougres) ; et puisque j’ai la pudeur de ne pas tout dire, je souhaiterais qu’ils aient celle de ne pas tout demander…

     Voilà donc dix jours que je suis rentré et je n’arrive toujours pas à me faire à l’idée que cette année à l’étranger est bel et bien finie. C’est que le départ a été si brutal… Lorsque ce vingt-trois mars j’ai quitté Beyrouth pour me rendre en vacances à Istanbul, j’étais à mille lieues de me douter que c’était la dernière fois, avant probablement longtemps, que je voyais ce pays. Toutes mes affaires sont d’ailleurs restées à l’appartement que j’occupais à Achrafiyeh – valises, vêtements, livres, cadeaux-souvenirs et j’en passe. Mais là n’est bien entendu pas le plus dérangeant, ni même – osons le terme, tout excessif qu’il soit ! – le plus douloureux.
     Plus qu’un futile tas d’habits et de paperasses en tout genre, ce sont des personnes que j’ai appris à connaitre et à qui je n’ai pas pu dire au revoir que je laisse derrière moi. Je ne me risquerai pas à l’exercice périlleux qui consisterait à en dresser la liste, mais nul doute que ceux dont je parle se reconnaitront à la lecture de ces quelques lignes. A ceux-là, et même si je sais pertinemment qu’ils ne m’en tiendront pas rigueur, je voudrais leur dire comme je suis désolé que le destin nous ait ainsi privé des « au revoir » qui, du moins le croyais-je, nous étaient dus et que les relations que nous avons nouées auraient mérités. C’est tout naturellement que mes premières pensées vont vers mes amis et camarades libanais – et notamment l’une d’entre elles -, que je n’aurai pas l’occasion de voir d’ici les prochains mois, peut-être même années, à moins que Dieu n’en décide autrement.
     Si ma sortie de scène fut pour le moins bâclée, mon retour en France le fut tout autant. En effet, depuis mon arrivée, je passe mes journées cloîtré chez moi, quand je ne suis pas auprès de mes proches pour les soutenir. Que l’on s’entende, je suis bien entendu heureux d’avoir retrouvé ma famille mais j’aurais préféré que cela se fît en d’autres circonstances et que les larmes qui ont coulé eussent pour source la joie des retrouvailles, non la tristesse de la situation. Quant à mes amis, mes Insupportables, qui à eux seuls constituaient l’une des raisons d’être de ce carnet de voyage, je n’ai tout simplement pas trouvé la force de les revoir. C’est d’ailleurs par cet article qu’ils apprendront que je suis de retour en France, et ce depuis maintenant plus de deux semaines. Quel ami ingrat je fais ! et comme ils me manquent pourtant ! alors qu’ils sont là, tous là, certains à quelques mètres seulement de chez moi ! C’est que là encore j’avais nourri de grands espoirs concernant nos retrouvailles: longtemps je me suis représenté certains de mes Insupportables venant me chercher à l’aéroport ; je leur aurais sauté dans les bras puis nous serions allés chez moi le soir même ; nous aurions fait une grande soirée où j’aurais distribué des cadeaux à chacun et où tous m’auraient posé des questions sur mes voyages ; alors je leur aurais raconté mes aventures de camping sauvage à Oman, ma chute dans les catacombes en Egypte ou bien encore les coulisses de mon travail de serveur dans un luxueux restaurant au Liban ; et, toute la nuit, nous aurions ri aux éclats ; et, dès le lendemain, nous nous serions revus ; et, sans heurts ni fausses notes, les choses auraient alors repris leur cours habituel…
     Une autre douleur, peut-être d’entre toutes la plus pernicieuse, prend racine dans la sensation frustrante d’inachèvement. En effet, j’ai eu, tout au long de mon séjour, la bêtise ordinaire de faire des projets, certains importants, d’autres moins. Je m’étais par exemple promis de retourner à Baalbeck au printemps (je n’aurais passé que l’automne et l’hiver au Liban – ironie du sort) ; de prendre comme sujet de mon prochain exposé « La poésie d’Antoine Boulad », pour mon cours sur les guerres civiles au Liban ; d’aller visiter le Musée national, qui ne se trouve qu’à cinq minutes à pieds de mon appartement ; de profiter d’une nouvelle escapade dans la région avec Rayanne et Nayla ; de me rendre à Tripoli avec des camarades de l’USJ une fois que les attaques auraient cessé ; de goûter la mousse chocolat – orange amère au La Goulée de la rue de Damas ; de faire du parapente sur les sommets du Mont-Liban ; de discuter de tout et n’importe quoi avec la « Dame du 9ème étage » de l’USJ ; d’offrir à Hannah et Bachir, des collègues de travail, des pâtisseries algériennes, tant ils m’ont dit aimer ça etc. Parallèlement à cela, il était également prévu que je réalise quatre autres voyages au Moyen-Orient, j’en avais d’ailleurs déjà déterminé la date ainsi que la destination: la Jordanie et L’Egypte de la péninsule du Sinaï en mai, l’Arménie au début du mois de juillet suivie de l’Iran – probablement mon plus grand regret, dans la mesure où je rêvais de m’y rendre et venais tout juste d’en obtenir le visa, après avoir essuyé deux refus – où je me voyais déjà vivre mon premier Ramadan en terre musulmane. Autant de projets qui demeureront sans lendemains, ou alors lointains…

     Si, de par mon tempérament, j’ai toujours été porté à la mélancolie, celle-ci, grâce à Dieu, n’avait jamais été synonyme d’amertume – bien au contraire ! Toutefois, c’est bien d’amertume dont il est question aujourd’hui ; et avec elle son cortège de frustrations et de regrets. J’en suis arrivé à ce stade complètement fou où plutôt que de remercier Dieu de m’avoir permis de vivre huit mois magnifiques, je le blâme de m’avoir privé de ces trois autres mois que, non sans arrogance, j’imaginais déjà miens. Pis encore, cette amertume, parce qu’elle me ramène inlassablement à mes petites déceptions, mes petits regrets, et mes petites frustrations, engendre elle-même un fort sentiment de culpabilité. En effet, alors que chacune de mes pensées ne devrait aller que vers ma famille, je ne peux m’empêcher d’avoir le Liban en tête ; et tandis que chacun de mes efforts ne devrait avoir pour seule fin que le réconfort de mes proches, voilà déjà plus d’une heure que je me suis isolé pour, très égoïstement, écrire ces lignes et tenter de me vider un peu l’esprit.
     Je me suis surpris, il y a quelques jours de cela, à relire mon dernier article – celui où il est question de mon grand bonheur – et à éprouver de la condescendance et du mépris à l’encontre de cet autre moi, que je ne reconnais déjà plus, et dont je condamne – procès injuste s’il en est – tantôt la bêtise tantôt la crédulité. Et alors, il me vient à l’esprit, certainement du fait de mon parcours d’étudiant en Histoire, la mise en garde de mes professeurs: « Vous qui des évènements passés connaissez la fin, gardez vous d’avoir de l’Histoire une vision téléologique ». Voilà l’un de ces conseils qui gagnerait à sortir de l’enceinte universitaire et dont nul ne devrait, je le crois, ignorer la portée. Voyez moi, par exemple, aujourd’hui simple blogueur, je suis tout entier confronté à ce risque téléologique: connaissant les circonstances dans lesquelles j’ai mis un terme à mon séjour, je me retrouve à en déprécier – ou en tout cas à ne plus apprécier pleinement – les belles expériences qu’il m’a permis de vivre. C’est comme si l’amertume, à la manière de l’encre sur les pages d’un cahier, avait noirci de son fiel des souvenirs que j’avais jusque là si ardemment accumulés et plus encore préservés.

     Par respect envers les gens que j’ai rencontrés, et à l’égard des expériences fantastiques qui furent les miennes, j’ai néanmoins décidé de lutter et de restituer à mes souvenirs leur vigueur originelle. Je vais donc devoir me faire violence afin de me débarrasser de cette mauvaise herbe qui subrepticement tend à les défigurer. Pour se faire, je passerai par le canal de l’écriture, c’est pourquoi j’ai décidé de poursuivre ce carnet de voyage et de partager avec vous, d’ici les prochaines semaines, chacun des moments forts que j’ai vécus là-bas. Du reste, je redoublerai d’efforts pour conférer à chacun de mes textes la teinte qu’il mérite – empêchant ainsi ma rancoeur de déteindre sur tous.

     Probablement n’est-il pas totalement inutile de finir cet article sur une note positive. En effet, si les évènements récents m’attristent sincèrement, il me suffit de prendre un peu de recul pour me rendre compte que je dispose toujours de l’essentiel: ma famille – aussi affaiblie soit-elle -, mes Insupportables et mes professeurs et amis – le fameux triptyque dont je n’ai cessé de vous parler d’un article sur l’autre. De plus, même si je me garderais bien de dresser une échelle des souffrances, je sais que toute légitime qu’elle est, ma peine est à relativiser. Il suffit pour s’en convaincre que je me remémore tous ces orphelins syriens, mutilés par la guerre, que j’ai vus sur les plages libanaises. Contrairement à eux, j’ai la chance – non, pardon, le privilège – de pouvoir me délester d’une partie de mes angoisses par l’écriture et de partager celle qui me reste avec mes proches. Néanmoins, je n’oublierai jamais le sourire sur la face de ces gosses-là, sourire qui à lui seul m’en apprend plus sur le courage que bien des livres que j’ai pu lire et conseils que j’ai pu recevoir.

     Parler de la vie comme d’un tourbillon, voilà une métaphore qui peut sembler bien convenue, mais que je reprends pourtant à mon compte tant elle pourrait résumer tout ce que je vous ai dit plus haut. Avec ces quelques mots, empruntés à Jeanne Moreau, que j’ai choisi ici pour titre, j’en profite également pour faire un clin d’oeil à l’une de mes amies rencontrée au Liban, à qui je dois d’avoir vu ce très beau film qu’est Jules et Jim (et dont est extraite ladite chanson), et qui va me manquer, comme d’ailleurs beaucoup d’autres.
     Quant aux points de suspension, en début et fin de titre, je ne suis pas certain du sens que je souhaite leur conférer. D’aucuns diront qu’il s’agit là d’une simple fantaisie typographique, et ils auront au moins en partie raison: j’aime la symétrie, allez donc savoir pourquoi ! Mais je les crois également porteurs d’une signification plus intime… En effet, là où certains préfèrent pleurer des heures durant, courir jusqu’à n’en plus pouvoir ou travailler plus que de raison, d’autres – j’en suis – ajoutent trois petits points au titre de leurs textes afin d’extérioriser et de souffler un peu. Et n’allez pas croire que le geste est anodin ! Je sais ces points de suspension chargés d’un poids que probablement aucun manuel de grammaire ni aucune règle orthographique ne les prédestinaient à porter, celui – voyez un peu comme je vais être grandiloquent ! – de supporter les pesanteurs d’une vie, d’en conserver les souvenirs et plus encore les espérances.

     Ainsi, c’est d’une main légère que je rédigerai mes prochains textes et poursuivrai mon entreprise débutée en septembre. Et tant que je n’aurai pas mis de point final à ce blog, considérez que mon année à l’étranger n’est pas totalement achevée. Alors seulement, lorsque mes camarades me poseront la question du déroulement de ma « 3A », je pourrai leur répondre, non sans provocation taquine à leur égard, que de tous les sciences-pistes je suis probablement celui qui aura vécu le plus beau et le plus intense des séjours à l’étranger !

P.S.: J’aimerais remercier le grand Paulo, mon ancien colocataire, avec qui je me trouvais en Turquie lorsque j’ai appris la nouvelle et qui m’a été d’un soutien indéfectible les jours qui ont suivi. Voilà un type définitivement Insupportable, qu’on se le dise ! Au fait, maintenant que tu es de retour à notre appartement, tache de faire bon usage de mes réserves de Nutella hein !

Vingt ans et presque toutes mes dents

     Il est sept heures, l’alarme du voisin sonne et me réveille. Comme chaque matin, je porte en guise de pyjama mon caleçon troué, celui là même qui laisse deviner le début de ma fesse gauche mais que je n’ai pourtant jamais osé jeter. Dès mon premier souffle, je devine à mon haleine que mon sommeil fut agité. Un long filet de bave traverse d’ailleurs mon oreiller. Au pied du lit gisent mes chaussettes encore humides de la veille. Deux boutons de moustiques sur mon pectoral gauche sont également à déplorer. Les minutes passent, le soleil – ce vicieux ! – s’immisce encore un peu plus dans ma chambre. Mes paupières peinent à s’ouvrir tant mes nocturnes muqueuses semblent en avoir soudé les extrémités.
     Aujourd’hui a lieu la rentrée scolaire, mon premier cours est donné à huit heures trente mais je ne veux pas travailler – je veux dormir. Emmitouflé dans ma couverture, je repousse de quelques minutes encore la fatale échéance. Du fait de la mince paroi qui sépare ma chambre de l’appartement adjacent, j’entends mon voisin en train de prendre sa douche. Il est donc sept heures trente car cet homme là est ponctuel. Quoique plutôt gringalet, j’ai l’étrange impression que mon corps est constitué de plomb à cette heure-ci.
     C’est alors que se manifeste ma bonne fée matinale (bonne fée que bon nombre des individus de mon sexe semblent d’ailleurs connaître): l’irrépressible envie d’uriner. C’te machin là, ça vous sort de sa léthargie le plus fainéant des hommes. Toutefois, je suis si fatigué que, pendant un moment, je me demande s’il ne me serait pas possible de faire cela à même le lit. Je le sais bien, ce n’est ni correct, ni convenable, peut-être même est-ce indigne de ma condition d’homo sapiens, mais ce serait si pratique… Après quelques hésitations, et en bon sciences-piste, je me décide finalement à appliquer un calcul coûts/avantages. Grâce aux bons offices de M’sieur Wasmer, et à mes lectures sérieuses des noms les plus illustres de l’économie libérale, j’en arrive à la brillante conclusion – digne d’ailleurs des plus grandes thèses de microéconomie et de psychologie comportementale – qu’uriner sur soi ne peut constituer un acte rationnel et rentable, à moins que l’on ne soit âgé de moins de sept ans, de plus de soixante dix-sept ans, ou bien encore que l’on ne soit paraplégique (ce sont là, il me semble, les trois seules situations qui rendent socialement acceptable le port d’une couche en Occident chrétien).
     Enfin peu importe, je vous noie là dans des considérations tout aussi aqueuses qu’inutiles, aussi mieux vaut-il que nous reprenions le fil du récit. Me voilà donc pieds nus, le caleçon aux genoux, la main hésitante, le regard porté au loin sur la cuvette des toilettes, à tenter de recouvrir ma dignité à grands coups de chasse d’eau. L’épreuve terminée, c’est fort et fier que je me dirige vers la cuisine, sors du tiroir une cuillère de la main gauche, extirpe du placard un pot de Nutella aux trois-quarts vide de la main droite, en ouvre le couvercle avec les dents et le fais pivoter à l’aide de mon menton puis y plonge, non sans allégresse, ma cuillère avant de l’amener à ma bouche. Il est huit heures quinze, je ne suis pas lavé, pas habillé et j’ai du Nutella jusque sur le nez: je serai une fois de plus en retard en cours.

     Comme vous le voyez, cette matinée qui a commencé comme toutes les autres semblait annoncer une journée finalement banale. Sauf qu’aujourd’hui, c’est mon anniversaire et je fête mes vingt ans. D’ailleurs, en guise de premier cadeau, j’ai eu l’heureuse surprise de voir mon colocataire débarquer à l’appartement, sur les coups de huit heures trente, les bras chargés de chocolats et croissants en tout genre – c’est qu’il commence à me connaître le bougre ! Il semblerait du reste que tous mes bons camarades de l’USJ aient vu en moi le « diabétique refoulé », de telle sorte que trois d’entre eux m’ont offert des tablettes de chocolats aujourd’hui. Voilà de quoi gonfler mes réserves pour le mois de février !
     A vrai dire, je n’ai jamais beaucoup aimé mes anniversaires, je ne leur accorde en tout cas aucune valeur intrinsèque. Souvent, ils n’étaient que prétexte à rassembler mes amis les plus proches (qui se comptent sur les moignons d’un cul-de-jatte ou alors, pour dire les choses avec moins de pessimisme, sur les huit doigts de la main d’un mutilé) et à profiter d’un après-midi avec eux, un peu à la manière des booms d’adolescents pré-pubères où les heures passées sur des jeux vidéos et les verres de jus d’orange sans pulpe qui s’enchainent suffisent à faire l’ivresse. Ni « grande soirée », ni « sortie en boîte », ni même « grands repas en famille »: une question de tempérament, ni plus ni moins.
     Cette année est toutefois différente. Je fête mes vingt ans au Liban, loin de ma famille, mes amis, mon pays, ma ville et et mes petites habitudes. Du coup, peut-être vais-je profiter de ma soirée pour voir ceux des étudiants locaux et étrangers avec lesquels je m’entends bien, sinon plus: mon amoureuse libanaise, mon Insupportable coloc’ bordelais, le « groupe des Algériens » (Bilal, Linda et Jenna) ou bien encore les « filles de Bachoura » (désormais réduites au nombre de deux – Justine et Alia – depuis le départ de Delphine et Khadra qui me/nous manquent d’ailleurs beaucoup !). Ou bien alors, je peux également m’acheter un kilogramme de baklavas et m’en aller vagabonder à travers Beyrouth, en début de soirée, de la Corniche et sa mer houleuse à Bachoura et ses rues inquiétantes en passant par Downtown et sa sublime mosquée Al-Amin. Ce que je ferai n’importe finalement que peu car je n’ai pas attendu ce douze février pour goûter au bonheur et prendre la pleine mesure de la chance qui est la mienne.

     Depuis mon arrivée à Beyrouth, et jusqu’à aujourd’hui, je vis en effet une expérience magnifique qui plus que combler les attentes qui étaient les miennes les dépasse en tout point. J’ai fait des rencontres que je sais d’ores et déjà inoubliables ; j’ai parcouru une bonne partie du Liban, des cimes enneigées du Chouf aux côtes de Saida, Beyrouth ou Tyr en passant par la plaine de la Bekaa ; j’ai multiplié les voyages à travers le Moyen-Orient (Chypre, Egypte, Abu Dhabi et le Sultanat d’Oman) et compte bien – Inch’Allah ! – en réaliser d’autres les mois qui suivent.
     Sur le plan scolaire, je ne suis là encore pas à plaindre: j’ai validé l’ensemble de mes matières et avec de très bonnes notes ; j’ai suivi des cours qui m’ont passionné au point parfois de me faire hésiter quant à la discipline que je souhaiterais enseigner plus tard (Mme Khaddad et son cours sur la « Littérature francophone dans le monde arabe » y sont pour beaucoup) ; j’ai affiné mon projet de recherche pour la suite de ma scolarité (je vous en parlerai plus tard). Mieux encore, j’ai appris à relativiser l’importance des études, ce qui n’est pas peu dire quand on sait à quel point j’ai pu être angoissé par les examens, les concours, les délais, les écoles auxquelles il me faudrait accéder, les cursus qu’il me faudrait suivre, etc. Grâce à Dieu, ma famille, mes amis et professeurs, j’ai la chance de savoir ce que je veux faire de ma vie sur le plan professionnel: de la recherche et de l’enseignement. Pour peu que je ne perde pas de vue cet objectif, et m’égare dans des sentiers qui me seraient tracés par d’autres et que l’orgueil dont je fais parfois preuve me pousserait à suivre (je pense notamment aux carrières politique et juridique), je n’ai aucune raison d’être inquiet quant à mon avenir.
     Parallèlement à tout cela, et je m’excuse par avance du topos niais que je vais reprendre à mon compte, l’éloignement – tant spatial que temporel – m’a fait me rendre compte à quel point j’aime mes amis, mes « Insupportables » rien qu’à moi. Il en va bien sûr de même pour ma famille, qui me manque énormément: ma soeur qui, parce qu’elle a eu le courage de poursuivre ses ambitions en entamant de difficiles études de médecine, me rend particulièrement fier ; mon frère qui, fidèle à lui-même, mène de front la vie d’un fêtard de vingt-neuf ans et celle d’un jeune cadre talentueux et prometteur ; ma mère, enfin, architecte principale de nos réussites à tous les trois.
     De plus, sur un plan plus personnel, ce début d’année m’a permis de me pencher plus sereinement sur deux aspects constitutifs de mon identité: le sentiment intime de mon arabité et l’exercice apaisé de ma foi qu’est l’Islam. Chose difficilement possible en France, je commence tout juste à entr’apercevoir un point de jonction entre mes différentes identités (qu’elles soient d’ordre familial, national, religieux, ethnique, communal, politique, personnel, etc.), de telle manière qu’aucune d’entre elles ne soit brimée par telle ou telle autre. Bien entendu, je ne prétends pas en avoir déjà réalisé la synthèse – il s’agirait là du projet d’une vie ! – mais c’est déjà un bon début.
     Enfin, j’ai même eu le privilège de tomber amoureux cette année. Mieux encore, cet amour est partagé et voilà déjà trois mois que dure cette parfaite idylle.

     Alors oui, il y a bien évidemment quelques ombres au tableau et tout n’a pas toujours été rose en ce début d’année: les premiers mois au Liban, l’inévitable et difficile transition à réaliser, l’absence pesante de mes proches, la fatigue liée aux examens, le sentiment parfois paradoxal de solitude – autant d’éléments qui, à deux reprises en six mois, ont failli me faire renoncer à cette année à l’étranger. Cela fait partie des règles du jeu, si j’ose dire, et je le savais pertinemment avant de m’engager dans cette aventure. Toutefois, et comme dit le proverbe, à quelque chose malheur est bon, aussi sortirai-je certainement grandi du dépassement de ces quelques obstacles (ni dragon à terrasser, ni géant à occire – mes soucis de jeune occidental du XXIe siècle font bien pâle figure…). De toutes les manières, s’il me fallait mettre dans la balance les grandes joies que m’a déjà procurées ce début d’année et les petits soucis qu’il m’a causés, pas de doute que celle-ci pencherait du coté du premier.

     De part mon tempérament quelque peu angoissé et foncièrement pessimiste, je n’ai jamais réellement cru au bonheur. Jusqu’à peu, l’idée d’avoir vingt ans m’inquiétait plus qu’autre chose. Grâce à cette incroyable expérience que constitue ce séjour à l’étranger, je commence toutefois à envisager les choses sous un angle nouveau. Je n’ai désormais plus de doute quant à l’existence du bonheur. Pis encore, je le crois accessible. Comment expliquer sinon le sentiment que j’éprouve depuis plusieurs semaines déjà et qui m’inspire aujourd’hui la rédaction de cet article ? Ni joie éphémère, ni simple plaisir, cela ne peut-être qu’un avant goût de ce que j’imagine être le bonheur. Toutefois, et c’est là où le bât blesse, je sais d’ores et déjà que si j’y ai moi aussi le droit, son existence sera toujours conditionnée à celui de mes proches, surtout des membres – au sens organique – de ma famille. Aussi, si en ce jour de mes vingt ans vous désirez me faire part de vos voeux, plutôt que de me souhaiter gloire, réussite ou fortune, espérez plutôt que je puisse toujours trouver à mes cotés des proches en bonne santé.

     Ca y est, c’est un fait: j’ai vingt ans et presque toutes mes dents (j’ai en effet eu la bonne idée de me casser l’une d’entre elles lors d’une mauvaise chute dans des catacombes en Egypte – promis je vous raconterai cela bientôt !).

A la rencontre des Libanais (2/2)

Un drôle de professeur…

     Voilà presque un mois que je suis à Beyrouth et déjà mes pensées se bousculent et se disputent le droit d’être couchées sur papier. Toutefois, je crois qu’il est dans votre intérêt, et dans le mien également, que je ne vous fasse pas endurer le récit détaillé de mes trente premiers jours passés ici – à la manière de certaines ennuyeuses chroniques. D’ailleurs, c’est une bien drôle d’idée que de croire que chaque jour apporte son lot d’évènements intéressants ; par exemple, il m’est arrivé, à plusieurs reprises déjà, de passer ma journée à déambuler, en caleçon Titeuf et tee-shirt rouge taché de dentifrice, entre ma chambre et la cuisine, en passant, quand l’envie folle m’en prenait, par la salle de bain. Je pense que nous pourrons donc nous entendre pour affirmer d’une commune voix que le récit quotidien de mes domestiques épopées n’intéresse personne, sinon les plus voyeuristes d’entre vous (et je sais qu’il y en a, inutile de vous cacher derrière vos écrans).
     Pour tout vous dire, j’avais pour ambition première de dresser, dans cet article, le portrait de six Beyrouthins rencontrés ce mois-ci. En achevant le premier des récits, je me suis toutefois rendu compte des laborieux efforts que cela me demanderait d’en rédiger cinq autres, alors j’ai finalement abandonné l’idée. Il vous faudra donc vous contenter de cela, du moins pour le moment.

                                                  **********************

     Cinq heures du matin, j’arrive enfin à Beyrouth. Le thermomètre affiche 25°: j’ai faim, j’ai soif, et puis j’ai trop chaud. Pas le temps de me plaindre, je dois me rendre à l’ambassade française où m’attendent deux camarades. Des camarades qui m’accueillent pour la nuit, donc des amis. Arrivé sur place, personne, pas un chat. Ou si, justement, des chats il n’y a que ça, partout, mais aucune trace de mes amis. Sur le mur, face à moi, une horloge. Cinq heures vingt, toujours personne. J’attends. Je n’aime pas attendre, mais j’attends. De l’autre coté de la rue, j’aperçois des sacs de sable qui feraient de bons sièges. Je m’y assois et sors mon manuel d’arabe. Pour passer le temps, le manuel. Par habitude, je commence à réciter l’alphabet:

– Alif, Ba, Ta, Tha, Jim, Ha (je bute toujours sur la prononciation de cette lettre). Ha. Ha. Ha (pas d’amélioration notable).

     Puis, un bruit. Quelque chose comme: Grrr…Grrr…Grrr… A trente mètres de là, une cahutte. Les grincements viennent de là-bas, j’en suis sûr ! Qu’on se le dise, je n’ai pas peur. Non non, je n’ai vraiment pas peur. Mais tout de même, j’aimerais bien vous y voir moi, seuls, dans une rue déserte, et obscure, à cinq heures du matin, dans un pays que vous ne connaissez pas. Ah ! vous feriez moins les malins, j’vous l’dis moi. Puis ces TIC-TAC d’horloge trop bruyants, ces RSHH de chats qui se battent, ces VROUM de voitures qu’on entend au loin, sans parler de ces satanés GRRR, là, juste là, quelques mètres derrière moi. Pas rassurant tout ça ! Je m’approche finalement de la source du bruit. A l’intérieur de la cabane, une ombre aux contours peu nets. En m’avançant davantage, plus de doute, plus d’ombre: un militaire. Il se balance sur une chaise dont les pieds frottent contre le gravier (Grrr…Grrr…Grrr…). Il me voit et se lève. Je le salue, un peu nerveusement, et en arabe bien sûr. Il me regarde, jette un coup d’oeil à mes valises, mais ne me répond pas. Etant particulièrement serein et confiant de tempérament, je conçois alors très clairement la suite des évènements:

     Ce militaire va très probablement me kidnapper, me passer à tabac, peut-être même me violer. Puis il me séquestrera dans une cave, au fin fond de la Bekaa, avant de me couper une main ou une oreille qu’il recouvrira de papier bulle et enverra dans une boîte en plastique à ma famille. Ma mère sombrera alors dans l’alcool, ma soeur dans la prostitution, mon frère dans le chômage. Quant à moi, on me réservera une place de choix au journal de treize heures, juste après un reportage sur la foire annuelle aux andouillettes de la ville de Troyes. A SciencesPo, certains de mes bons camarades auront la merveilleuse idée de créer un groupe facebook « Pour la libération de Sami Ouchane ». Puis ils organiseront des chaines humaines devant la Mairie de Paris et vendront des gâteaux à l’entrée de la Sorbonne, pour me manifester leur soutien. Je mourrai trois semaines plus tard, d’une gangrène, ou bien d’autre chose, pourvu que ce soit long, et douloureux aussi. Pour venger ma mort, l’Etat français rétablira le service militaire et déclarera la guerre au Liban. Israël profitera de la situation pour envahir, une fois de plus, le pays. L’Iran, quant à elle, estimera que le moment est enfin venu d’attaquer Israël. Puis, comme une guerre ne vient jamais seule, la Russie attaquera la Chine, la Chine l’Inde, l’Inde le Pakistan, le Pakistan la Turquie, La Turquie Chypre et Chypre le Vanuatu. Les Etats-Unis se retireront de l’ONU et déclareront la loi martiale. En à peine deux mois, le monde aura sombré dans le chaos et il ne restera sur Terre que le peuple helvète, dernier vestige de ce que fut un jour la « civilisation humaine ».

     Le bruit de ses pas me ramène finalement à la réalité. Il s’approche de moi, mes yeux restent bloqués sur l’arme qu’il tient à la main. Je sens que les prochains mots vont être décisifs. Ca y est, je suis prêt, prêt à entendre ce qu’il va me dire, il peut y aller. Après un trop long échange de regards furtifs, il se décide enfin à m’adresser la parole:

– « Ha », you have to pronounce « Ha », try again.

     Le choc est bien trop rude. Je m’attendais à tout, sauf à cela. M’a-t-il véritablement repris sur ma prononciation de l’alphabet ? Dans le doute, je lui demande de répéter. Même injonction professorale:

– « Ha », you have to pronounce « Ha », if you really want to speak arabic, try again.

     Je demeure hébété de longues secondes puis me décide enfin à faire ce qu’il me dit. Il me sourit, me dit qu’il s’appelle Abdel, et me propose de boire un peu de son café. Il n’y a rien que je ne supporte moins que le café mais, n’étant pas en état de refuser, j’en bois une gorgée. Par politesse, je m’efforce de masquer mon dégoût par un sourire forcé puis me présente à mon tour. Nous discutons un peu plus longuement, il me dit qu’il vit à Beyrouth avec sa femme et ses deux enfants, qu’il est actuellement militaire mais qu’avant cela il enseignait l’arabe à Jounieh. Il m’apprend, au passage, à dire quelques mots en libanais, comme « l’ambassade de France », « l’Université Saint-Joseph » et « Les filles sont jolies » (des trois phrases, je vous laisse deviner laquelle m’est la plus utile au quotidien).
     Mes amis arrivent quelques minutes plus tard. Il est six heures et demi du matin. J’ai faim, j’ai soif, et puis j’ai trop chaud mais j’ai survécu à ma première nuit à Beyrouth. Mieux encore, j’ai rencontré mon tout premier Libanais, et déjà je consigne dans mon carnet les bribes de ce qui allait me servir, quelques semaines plus tard, à rédiger le bien trop long portrait de ce drôle de professeur.

A la rencontre des Libanais (1/2)

     Voilà enfin venu le moment que vous attendez tous, celui pour lequel vous avez accepté d’endurer la lecture de mes trop longs articles, qui, jusqu’à maintenant, n’ont traité du Liban que de manière détournée, et celui qui, je l’espère, vous fera oublier mes trop nombreux retards: la publication de mes premières photographies !

     J’ai décidé de regrouper dans un même article les photographies que j’ai déjà pu prendre des Libanais. J’entends déjà les plus tatillons d’entre vous me dire: « Et les photos des paysages ? des villes ? des ruines antiques ? des châteaux médiévaux ? Pourquoi ne pas nous les montrer, on veut voir à quoi ressemble le Liban nous ! ». Patience, je vous les montrerai, promis. Néanmoins, mon objectif ici est tout autre. Affreux lecteurs que vous êtes, aucun de vous n’a relevé, dans l’article précédent, le tour de passe-passe méprisable par lequel je vous ai fait croire que le titre de mon blog n’avait désormais plus de secret pour vous, alors même que j’avais volontairement omis d’en expliquer une partie (« chez les Libanais »). En effet, cette année, je ne pars pas tant à la découverte du Liban qu’à la rencontre des Libanais. La tâche sera rude, je le sais, mais qu’importe ; je ne veux pas, de toutes les manières, être celui qui aura la prétention d’affirmer qui sont les « Libanais », de les figer derrière une étiquette unique. Je me contenterai simplement de vous les donner à voir, et à lire, tels que je les perçois.

     Pour les quelques « arriérés 2.0. » que je compte parmi mes amis (je me permets la remarque d’autant plus librement que j’en suis l’un des plus éminents représentants), sachez qu’il est possible d’interagir avec les photos. Si vous cliquez dessus, une galerie devrait normalement s’ouvrir, ce qui vous permettra de prendre connaissance des titres et des descriptions dont j’ai affublé chacune d’entre elles.

     Ah, j’oubliais ! pour motiver les plus fainéants d’entre vous à visionner l’ensemble de la galerie, j’ai une petite devinette: il y a une photo qui n’a rien à faire ici, saurez-vous la retrouver ?

P.S. : Etant maître et possesseur de mon espace virtuel, je décrète que cet article, parce qu’il contient des images, en vaut deux autres. Par conséquent, j’ai désormais rattrapé le retard que j’avais laissé s’accumuler dans la publication de mes articles. Mieux encore, j’ai pris un peu d’avance. Si vous avez des réclamations, je vous saurais gré de ne pas m’en faire part, bande d’insupportables.

Livry-Gargan / Beyrouth : deux villes différentes ; un symbole commun

     A l’heure où je rédige les lignes que je vous avais promises, j’ai le fessier déjà bien ancré dans le siège D-242 de mon avion à destination de Beyrouth. L’horloge de mon ordinateur indique deux heures du matin et l’ambiance est, je crois, propice à l’écriture: le ronflement quasi épileptique de la dame assise à ma droite rythme de manière inattendue la rédaction de mon article ; servie par le steward, la gelée de ce que j’imagine être des petits-pois attise mon imagination ; les hôtesses de l’air, enfin, sont toutes coiffées d’un chignon.

     Livry-Gargan, pour ceux d’entre vous qui ne le sauraient pas, est une petite ville située à quinze kilomètres au nord-est de Paris, en Seine Saint Denis, et composée d’environ quarante mille habitants (si cela ne me donnait pas l’air précieux, je parlerais volontiers « d’âmes » plutôt que d’habitants). La vie y est calme, la population vieillissante, le trafic routier contrôlé, la compétition politique encadrée ; soit autant d’éléments qui détonnent avec le tableau, du moins tel qu’on se le représente, de la ville de Beyrouth. Alors que tout semble opposer ces deux villes, il existe pourtant un lien entre elles, et s’il n’est pas de sang, au moins est-il de sève, puisqu’un même arbre y plonge ses racines: vous l’aurez compris, il s’agit du cèdre. En effet, s’il est bien connu que ce superbe conifère est le symbole de Beyrouth (et plus largement du pays, dont il orne le drapeau), il l’est aussi de Livry-Gargan depuis qu’un cèdre originaire du Liban y a été planté en 1650 (j’en aurais bien fait figurer une photo ci-dessous, mais ce type de manipulation est  bien au dessus de mes compétences technologiques)

     La première partie du titre de mon blog – « D’un cèdre l’autre » – n’a désormais plus de secret pour vous ; néanmoins, c’est davantage sur la seconde partie du titre – « Un Livryen chez les Libanais » – que j’aimerais attirer votre attention. Cela fait déjà bien longtemps que je n’ai plus eu l’occasion d’affirmer avec force mon attachement à ma ville, aux lieux qui la composent, aux habitants qui la font vivre. En fonction des situations, on m’a souvent considéré tantôt comme Français tantôt comme Marocain (double nationalité oblige) ; d’autres encore ont voulu me faire croire que j’étais Européen, alors j’ai essayé de m’en convaincre, j’ai tout tenté, jusqu’à me répéter, chaque soir avant d’aller dormir, « tu es Européen » – formule quasi incantatoire – en espérant que cela produise ses magiques effets ; pour le microcosme parisien, que j’ai assidûment fréquenté pendant deux longues années, je reste cet éternel banlieusard du « 93 » (comprendre usager régulier du RER B), tandis que pour ces mêmes habitants de banlieue parisienne je ne suis déjà plus l’un des leurs car, comme ils disent, je suis « cultivé », puis surtout, et toujours selon eux, je n’ai pas à m’inquiéter de mon avenir car j’ai fait SciencesPo. Dès lors, et de la même manière qu’il m’a fallu choisir parmi l’ensemble des caleçons de ma commode ceux d’entre eux qui finiraient au fond de ma valise, j’ai jugé préférable, à la veille de mon départ, de m’alléger du poids de ces identités contraignantes. Au grand marché des identités, il m’a toutefois été difficile de faire le tri tant celles-ci sont nombreuses, mouvantes et contradictoires (heureusement d’ailleurs).

     Contre toute attente, et comme avec la force de l’évidence, c’est mon identité livryenne qui s’est alors imposée à moi. Toutes les fois où je me suis projeté au Liban, mes premières pensées ont été pour cette ville où je suis né et dans laquelle j’ai vécu mes dix-neuf premières années. Lieux et figures me revenaient en mémoire d’un commun mouvement :

     Le parc Georges Pompidou, que je n’ai découvert qu’au mois de juillet, et que j’aime déjà tant. Il a, je crois, tout d’un jardin d’Eden : situé en périphérie, comme dissimulé aux yeux de tous, il n’a pas l’arrogance de ces grands parcs de centre-ville qui se donnent à voir, à jouer au ballon, à faire la sieste et à nourrir trois pigeons. Pour une raison mystérieuse, cela fait maintenant deux mois que son entrée est condamnée ; il n’en fallait pas moins pour nous convaincre, mon ami et moi, de sauter le pas, et la grille du même coup. Une fois à l’intérieur, quel ne fut pas notre bonheur ! pas un bruit, pas une âme qui vive, braille et pleure, nous étions seuls et c’est devenu notre parc. Jusqu’au moment où l’emballage en carton d’une pizza au saumon, chancelant sur le rebord d’une poubelle, nous ramena à la réalité : nous n’étions pas les premiers à venir dans ce parc, et nous ne serions probablement pas les derniers. Une fois à son sommet, nous nous aperçûmes que nous surplombions la ville, alors nous restions là, nous discutions des heures durant, du haut de notre colline. Face à nous, l’horizon avait des allures de mille-feuille : au premier plan, un cimetière où l’on apercevait des tombes inégalement fleuries ; un peu derrière, le centre commercial de Cora, avec son immense parking, se dessinait de profil ; puis c’était au tour des bâtiments, des grues, et des Tours Eiffel de tout poils, que l’on devinait derrière d’épais nuages de fumée, de se manifester ; enfin, le ciel et sa ribambelle de nuages difformes, transpercés ici et là par le large sillon d’un avion, chapeautaient magnifiquement cette étrange pyramide.

     Si mes souvenirs de Livry-Gargan se rattachent essentiellement à des lieux, certaines figures n’en sont pourtant pas absentes ; Alain Calmat est l’une d’elles. Aussi loin que je me souvienne, il a toujours été maire de cette ville, et cela explique certainement qu’à mes yeux il en est l’une des figures emblématiques, quasi tutélaires. Je ne connais finalement que très peu de choses de l’homme politique : j’ai cru comprendre qu’il était socialiste, et qu’un jour il avait été député, peut-être même ministre des sports (ou alors de l’agriculture). Quant à son bilan politique, j’en sais à peine plus: certainement a-t-il fait construire des locaux, bétonner des routes, rénover des maisons de retraite, et que sais-je encore. Pourtant, le personnage m’est d’une sympathie toute particulière, je ne saurais vraiment dire pourquoi ; peut-être est-ce dû à la première impression physique que j’en ai eue. Ce matin là, lorsque je le vis discourir à l’occasion de la fête nationale du quatorze juillet, il avait tout du maire tel qu’on se l’imagine: un large front dégarni ; des cheveux gris pâle, presque déjà blancs ; d’immenses poches au bas des yeux, je me souviens m’être fait la remarque qu’elles lui donnaient l’air besogneux ; il portait également une cravate autour du cou et un anneau autour du doigt (l’inverse eût sans doute été bien moins convenu, dommage) ; sa chemise, enfin, semblait particulièrement tendue au niveau du bas ventre. Toute sympathie à son égard m’eût été rendue impossible si je n’avais pas fait attention, à la fin de son intervention, à un minuscule détail: il y avait, sur l’extérieur du col de sa chemise blanche, une tâche de café, à peine perceptible. Cela vous paraîtra certainement anodin, voire insignifiant, mais cette tâche lui donnait, selon moi, l’air parfaitement incarné ; derrière le tissu impeccablement repassé et les chaussures vernies, l’on pouvait dès lors entr’apercevoir l’homme, peut-être même le père de famille, qui le matin même avait dû se servir une grande tasse de café, avant d’en renverser maladroitement sur sa chemise, peut-être à cause d’un mioche qui descendait en trombe les escaliers, ou du chien qui passait fugacement sous la table de la cuisine, qui sait.

     S’il est un endroit auquel je tiens plus que tout autre, c’est bien le lycée Andrée Boulloche. Quelle drôle d’idée, me direz-vous, que celle de louer un lieu que chaque élève attend impatiemment de pouvoir quitter en étant bien certain de ne jamais plus avoir à y remettre un pied. Je le confesse, j’ai moi-même été l’un de ceux-là, notamment en classe de seconde (mon « année zéro », comme j’aime à l’appeler), époque à laquelle rien ne me désespérait plus que ces journées découpées au rythme des sonneries annonçant les cours. Puis avec le temps sont venues les rencontres: ces trois années au lycée m’ont permis de (re)découvrir celles et ceux qui, jusqu’à aujourd’hui, allaient faire partie de mes plus proches ami(e)s ; j’y ai également fait la rencontre d’excellents professeurs qui ont eu sur moi, tant sur le plan humain qu’académique, une influence fondamentale, – même si leur insupportable modestie les empêchera toujours d’en prendre la pleine mesure. Une fois le baccalauréat en poche, je n’ai pu me résoudre à quitter définitivement mon lycée, c’est pourquoi, sous prétexte de présenter mes études à SciencesPo aux élèves de Boulloche à l’occasion du « carrefour des métiers », j’y suis revenu chaque année. Certains jours, lorsque mes cours à l’Université finissaient plus tôt que prévu, il m’arrivait même de me rendre au lycée, comme cela, sans raison apparente. J’entends encore les pions du bahut, interloqués par mes visites répétées, me demander ce que je fichais là. « Je viens seulement récupérer un papier administratif » que j’leur répondais. Après tout, comment auraient-ils pu comprendre ? Puis comment aurais-je pu leur expliquer que j’aime déambuler dans les couloirs du premier étage, en espérant y sentir cet arôme synthétique de banane dont j’ai gardé le souvenir depuis mes premières expériences de chimie en classe de seconde ; comment aurais-je pu leur expliquer que je prends plaisir à m’arrêter au détour d’une salle de cours pour y apercevoir un ancien professeur qui me sourit et m’invite à entrer ; comment aurais-je pu leur expliquer qu’il m’est arrivé de me rendre au CDI afin d’y travailler l’un des exposés que j’avais à faire pour la faculté, alors même que les livres abondent dans les bibliothèques parisiennes ; comment encore aurais-je pu leur expliquer qu’il est à mes yeux un spectacle dont je ne saurais me lasser pour rien au monde, celui des professeurs bougons qui font virevolter les portes battantes menant à la salle des professeurs en marmonnant d’éternelles critiques à l’encontre de ces élèves dont le niveau ne cesse de baisser, le travail à la maison de se dégrader, l’attitude en classe de se détériorer.
     Puisque je suis à un âge où il m’est encore possible d’avoir des rêves, le mien serait certainement celui-ci: pouvoir enseigner, à mon tour, dans ce même lycée d’ici quelques années.

     Je pense qu’il inutile que je m’épanche davantage en réminiscences personnelles ; si vous avez eu la patience de me lire jusque là, alors il ne fait pas de doute que vous avez compris le sentiment qui m’a animé la rédaction de ce billet, soit un attachement sincère, presque déjà mélancolique, pour cette ville qui est la mienne, pour Livry-Gargan.

P.S. : Excusez le retard avec lequel je publie cet article mais je puis vous assurer, le contraire vous aurait d’ailleurs étonné, qu’il y a une bonne raison à cela: j’ai été privé, ces deux dernières semaines, de connexion internet, suite à l’explosion du générateur électrique du bâtiment dans lequel j’habite. Par conséquent, avant la fin du mois de septembre, je publierai encore deux articles, qui cette fois-ci concerneront plus directement le Liban, de manière à rattraper mon « retard » (ah, quel idiot ambitieux j’ai fait à m’être engagé à rédiger un article par semaine), d’autant plus que les évènements récents se prêtent bien à récit : le concert des Red Hot Chili Peppers auquel j’ai assisté par hasard, les voyages que j’ai déjà réalisés à Tyr, Saïda ou bien encore Byblos avec mes deux colocataires, la messe donnée par le Pape Benoit XVI sur le bord de mer beyrouthin, les manifestations liées au film anti-Islam, et plus encore.

     Tout, tout, tout, j’vous dirai tout sur mon séjour (je le savais, pervers que vous êtes, vous avez pensé à autre chose !).

En route pour le Liban !

      A seulement quelques heures du grand départ, j’ose enfin franchir le pas et rédiger la page de garde de ce qui constituera mon « carnet de voyage » (ou, dit plus sobrement, mon « blog de 3A ») durant ce long séjour à Beyrouth. Long, il le sera sans doute puisque j’y resterai entre dix à douze mois, mais j’ai l’intime conviction que le temps d’un tel voyage ne s’énumère pas en mois, ni en semaines, ni même en jours écoulés ; seules compteront les rencontres que j’y ferai, car ce sont elles qui feront la valeur de mon séjour. Et, pour tout vous dire, il me tarde vraiment d’y être.

     Pour ce qui est du blog, déjà je pressens que je n’échapperai pas aux écueils classiques auxquels se heurtent ceux qui, parce qu’ils partent pour un long voyage, décident de garder une trace écrite de leurs aventures. Ces écueils, quels sont-ils ? Une tendance à dramatiser le départ, certainement, à le charger de sens, à le percevoir comme une rupture dans le cours des choses du quotidien, une rupture dont on reviendrait nouveau, totalement ébranlé. Transposés au domaine de l’écriture, ces écueils se manifesteront par une plume – ou, pour dire les choses comme elles sont, « un clavier » – parfois trop portée au lyrisme, à quoi viendra certainement s’ajouter un sentimentalisme exacerbé que certains pourraient qualifier de niais ; il faudra donc me pardonner pour l’un, puis pour l’autre, de ces défauts.

     Concernant le contenu du blog, j’essaierai de publier un article par semaine, mais il vous faudra là encore être indulgents, et parfois même patients, car les calendriers n’ont jamais été mon fort, et mes mauvaises habitudes joueront à coup sûr contre moi. Ces articles prendront probablement des formes diverses, allant de l’actualité commentée (exercice qui me déplait assez cependant) au simple billet d’humeur, en passant par des écrits qui se voudront plus « scientifiques » – car rigoureux et documentés – sur des sujets qui me tiennent à coeur tels que l’histoire, la religion, ou bien encore l’éducation (ce sera pour moi l’occasion de jouer à l’apprenti chercheur). Et puisque j’ai bon coeur, je publierai également quelques photos afin de vous rassurer quant à mon intégrité physique.

     In fine, vous l’aurez compris, ce blog a surtout vocation à rassurer les plus angoissés d’entre vous, ceux qui m’imaginent déjà revenir au bercail avec une jambe en moins et une barbe foisonnante qui trahirait de nouvelles et inquiétantes aspirations religieuses. Cela dit, vous pouvez avoir l’esprit tranquille car:

Non, je n’arriverai pas en retard à l’aéroport et ne raterai pas mon vol pour Beyrouth ;
non, je n’oublierai pas mon passeport dans la poche de l’un de mes pantalons resté chez moi ;
non, je ne compte pas m’engager comme « soldat de Dieu » auprès du Hezbollah ;
non, je ne profiterai pas du fait que le Liban est le premier pays consommateur de chirurgie esthétique au monde pour assouvir mon désir intime de changer de sexe (adieu le bonnet D dont je rêve depuis toujours) ;
non, je ne compte pas mourir là-bas, comme disent les plus inquiets – névrosés ? – d’entre vous. Puis si je meurs, cela n’aura pas été de ma faute, il ne faudra pas trop m’en vouloir ; il paraît même que ces choses là sont naturelles, et n’arrivent pas qu’au Liban, et qu’au final personne n’y coupe, alors bon.

Oui, je serai malgré tout prudent et vous donnerai des nouvelles régulières.

   Pour conclure cette trop longue introduction, j’aimerais me permettre une ultime coquetterie, et dédier ce modeste blog à ceux vers qui mes pensées iront au moment du départ:

A ceux qui ont été pour moi de véritables professeur(e)s, à mes « Insupportables » qui déjà me manquent, à ceux de ma famille que j’abandonne lâchement le temps de mon séjour, – et à ma mère, qui je crois est un peu de tous ceux-là.

Maintenant, direction Beyrouth, enfin !

P.S. : Dans un prochain article, il me faudra revenir sur le titre que j’ai donné à ce blog, sans quoi il laissera perplexes ceux d’entre vous qui ne connaissent pas ma ville (« Un « Livryen », mais c’est quoi ce machin ? Puis quel rapport avec le Liban ? »). Je pense que j’en terminerai la rédaction dans l’avion, je n’ai malheureusement pas le temps avant cela car je dois boucler ma satanée valise. Arg !